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lundi 10 mars 2014

Guinée : Mgr Robert Sarah, un cardinal vigilant

Bien qu'il soit installé à Rome depuis 2001, Mgr Robert Sarah garde un oeil attentif sur son pays. Et n'hésite jamais à en interpeller les dirigeants.
Pour les catholiques guinéens, Mgr Robert Sarah, 68 ans, est la preuve que rien n'est impossible à Dieu. Et qui s'est déjà rendu à Ourouss prend conscience du miracle que constitue le parcours de l'enfant de ce petit village, "créé" cardinal en 2010 par le pape Benoît XVI, et préfet du conseil pontifical Cor Unum, le "ministère de la coopération et de la charité" du Vatican.
Pour atteindre sa région natale, aux confins de la Guinée et du Sénégal, il faut plus de quinze heures de taxi-brousse depuis Conakry. C'est sur cette terre de mission pour l'Église catholique, évangélisée à partir de 1910, qu'a grandi le futur prélat. Initié comme ses frères aux traditions coniaguis (petite ethnie qui s'opposa aux Peuls puis aux colons français), il a toujours fait preuve de pugnacité.
Le plus jeune prélat au monde
L'appel du sacerdoce, il l'a entendu dès l'âge de 12 ans, au contact des missionnaires spiritains. Il devient prêtre dans une Église en butte aux foudres d'Ahmed Sékou Touré. Comme certains dirigeants du bloc soviétique, le premier président guinéen souhaitait couper les catholiques de Rome pour les rattacher à son autorité. En 1967, il fait expulser l'ensemble des missionnaires européens. Quand Sarah est ordonné, en 1969, ils ne sont que neuf prêtres catholiques guinéens, face à un pouvoir de plus en plus agressif. Un an plus tard, le régime fait emprisonner l'archevêque de Conakry, Mgr Raymond-Marie Tchidimbo, qui passe neuf années au sinistre camp Boiro.
Lorsque le Vatican désigne Robert Sarah pour succéder à Mgr Tchidimbo, en 1979, le prêtre, alors âgé de 34 ans, devient le plus jeune prélat au monde. À peine ordonné archevêque, Sarah dit ses quatre vérités à Sékou Touré, fustigeant la répression de toute tentative d'opposition - réelle ou supposée -, évoquant dans ses prêches un "pouvoir qui use les hommes".
Après la mort du dictateur, en 1984, il poursuit sur le même ton avec Lansana Conté, le nouveau président. "Je suis inquiet : la société guinéenne se construit sur l'écrasement des petits par les puissants, sur le mépris du pauvre et du faible", s'indigne-t-il en 2001, lors de son départ pour Rome. Il y devient le numéro deux de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, chargée, entre autres, de la nomination des évêques en Afrique.
Bien qu'éloigné de son pays, Sarah reste vigilant à l'égard du pouvoir politique de Conakry. "Il a toujours "mal à la Guinée". Il est touché par la violence et les événements politiques, mais aussi par les divisions qui y affectent l'Église catholique", confie Mgr Claude Dagens, évêque d'Angoulême et académicien français, ami de Sarah depuis 2001.
En 2010, alors que le général Sékouba Konaté, patron de la junte militaire, demande à être récompensé pour avoir débarrassé la Guinée d'un dictateur, il interroge : "Est-ce qu'on peut demander à sa maman, qui nous a enfanté et nourri, de nous récompenser pour le bien qu'on lui fait ?"
L'etouffement de la démocratie et des libertés
Une vigilance qui ne se relâche pas avec l'arrivée au pouvoir d'Alpha Condé, avec lequel il a pourtant une relation suivie. Sous le régime de Lansana Conté, Sarah avait publiquement plaidé pour sa libération et il l'avait régulièrement rencontré lors de son exil parisien.
Après l'élection du président, en 2010, le cardinal lui confie une sorte de feuille de route. Revenant sur l'histoire douloureuse du pays, Sarah y appelle ses compatriotes à un sursaut moral : "La marche de notre peuple pour changer le cours de son histoire et atteindre les rives de la prospérité a été principalement entravée par l'étouffement de la démocratie et des libertés. Afin de construire notre économie, il faudra engager une lutte sans merci contre la corruption, qui a atteint des proportions insupportables, même dans les milieux insoupçonnables des hauts dirigeants, des cadres civils et des militaires", dénonce-t-il. Et de préciser : "Cette lutte contre la corruption ne doit pas être le combat du seul président de la République, mais celui de tous les Guinéens, si nous voulons une Guinée meilleure et prospère."
Jeune Afrique

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