Le patient ou son cadavre à peine emporté, l'enquête commence: combien de personnes vivent ici? Avez-vous voyagé récemment? Assisté à des obsèques? Face à l'épidémie d'Ebola, l'interrogatoire vise à identifier tous les contacts en espérant arrêter la course du virus.
A Mabella, un quartier miséreux de Freetown, la capitale de Sierra Leone, dans une cour congestionnée bordée de masures en tôle dépourvues d'évacuation, les yeux sont braqués sur Hawa, les visages tendus. Ils sont 88, hommes, femmes et enfants entassés dans le même abandon, partageant la promiscuité, l'unique toilette et l'air étouffant.
Deux enfants de la courée, une fille de 11 ans d'abord, puis un garçon de 20, ont été emportés par les ambulances depuis respectivement neuf et six jours, condamnant les riverains à une mise en quarantaine de 21 jours (la durée maximale d'incubation du virus) sous la garde d'une policière et d'un soldat.
Une simple ficelle leur barre la sortie, et le ravitaillement est assuré par le Programme alimentaire mondial (PAM).
Deux fois par jour, Hawa leur rend visite avec l'équipe de "contact tracers" de la Croix-Rouge, questionnaires en main. La jeune veuve de 33 ans a résisté à Ebola, seule survivante avec un fils de 4 ans d'une famille - mari, enfant, bébé - emportée par l'épidémie en l'espace de deux semaines.
"J'étais vraiment découragée", confie-t-elle. Mais puisqu'elle a survécu, elle s'est mise depuis au service des vivants, auxquels elle prêche la vigilance et la patience: "J'ai perdu mon mari, j'ai perdu mes enfants, si vous êtes malades, allez à l'hôpital, évitez les contacts directs".
C'est difficile. Les gens sont entassés, enfermés, frustrés, sans nouvelles des deux jeunes dont on ne sait s'ils sont hospitalisés quelque part dans le pays ou déjà morts. Un jeune homme montre ses mains vides, une femme s'énerve et demande du riz, des haricots et de la farine: "On a faim!".
- Faire l'appel -
Hawa plaide la patience. A ses côtés, le chef d'équipe Gray Davidson revient chaque matin poser les mêmes questions - 18 en tout - et remplir les formulaires: fièvre? Maux de tête? Douleurs musculaires? Nausées? Diarrhées? Démangeaisons?
"On a la liste des personnes répertoriées, on vérifie si toutes sont présentes et qui manque, car certains tentent d'échapper à la quarantaine".
Ces équipes de "contact tracers", chargées littéralement d'établir et de garder le contact avec l'entourage des malades, constituent la meilleure prévention possible pour barrer la route au virus en l'empêchant de se propager d'une maison à l'autre.
Gérées par le ministère de la Santé, avec l'aide des grandes organisations comme Médecins sans Frontières (MSF) ou la Croix-Rouge, pour tenter de remonter et de circonscrire la chaîne de contamination à chaque nouveau cas confirmé, elles reposent en grande partie sur le volontariat.
A travers le pays, les rescapés d'Ebola, en principe immunisés, se mobilisent pour faire barrage au virus, comme les simples citoyens qui espèrent bien y échapper.
"Chaque fois qu'on nous signale un cas suspect, un malade ou un mort on visite le voisinage, maison par maison. Deux fois par jour on rend visite aux foyers en quarantaine". Mohamed Fofanah, 32 ans et père d'un garçon de 5 ans, s'est porté volontaire le 30 septembre dans sa communauté de Mayemba, à deux heures à l'est de la capitale.
Ici, on a compté 25 morts et 17 rescapés. Trois maisons sont toujours en quarantaine. Lui-même a été épargné, jusqu'à présent. Ils sont 21 jeunes gens, dont une femme, à s'être inscrits comme "contact tracers" auprès de la chefferie de Fakunya.
"C'est chez nous ici. On n'a pas d'autre endroit. C'est notre responsabilité. Si on reste à ne rien faire, on va tous mourir. La bataille n'est encore gagnée, mais ainsi, on a une meilleure chance de survie".
AFP
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