Cet homme-là n'est pas de ceux qui aiment le grand jour. Pourtant, les perquisitions par les polices française et suisse, mandatées par les Etats-Unis, des locaux de deux compagnies liées au mystérieux milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz ont obligé cet aventurier minier à sortir de l'ombre. L'affaire de la concession de la mine de minerai de fer de Simandou, dans le sud-est de la Guinée (Afrique de l'Ouest), est désormais sur la place publique. Jeudi 29 août, des policiers ont visité les locaux en France et en Suisse de la société Onyx, un sous-traitant de l'enseigne minière helvétique Beny Steinmetz Group Resources (BSGR). Les enquêteurs ont emporté des documents qui seraient relatifs à l'acquisition controversée, en décembre 2008, de la moitié de l'exploitation de Simandou recelant l'un des gisements de fer les plus importants au monde. M. Steinmetz avait acquis cette licence d'opération pour 165 millions de dollars (124,8 millions d'euros) grâce à ses appuis auprès du président d'alors, Lansana Conté. En avril 2010, il revendait la moitié de sa participation au brésilien Vale pour... 2,5 milliards de dollars. Même dans l'univers des matières premières qui font et défont les fortunes, pareille plus-value est rare.
POSSIBLES POTS-DE-VIN À D'ANCIENS RESPONSABLES GUINÉENSA l'origine du scandale, la décision en novembre 2012 d'Alpha Condé, premier président démocratiquement élu de Guinée, de revoir l'ensemble des concessions minières octroyées dans des conditions controversées aux exploitants étrangers. Washington mais aussi le spéculateur George Soros et l'ex-premier ministre britannique Tony Blair prêtent main-forte aux autorités de Conakry dans cette opération de transparence qui aboutit aux accusations de corruption lancées contre BSGR.
L'ouverture d'une enquête fédérale sur le versement de possibles pots-de-vin à d'anciens responsables guinéens pour remporter des concessions minières conduit le FBI à se lancer aux trousses de M. Steinmetz. Une prétendue tentative de corruption, en avril, en Floride de l'ex-femme d'un dirigeant guinéen conduit à l'arrestation de Frédéric Cilins, un Français associé à M. Steinmetz en Guinée. Pour durer dans le monde minier opaque, les stars doivent rester dans l'ombre. Afin de tenir les journalistes financiers trop fouineurs à l'écart de ses affaires, M. Steinmetz a embauché les avocats les plus teigneux de Genève comme de Londres.
"PAS DE SQUELETTE DANS LE PLACARD""Il n'y a pas de squelette dans le placard. Notre compagnie ne soudoie pas les hommes politiques", a-t-il déclaré dans l'une de ses rares interviews, publiée le 30 juin par le quotidien israélien Yedioth Ahronoth. L'intéressé dément en bloc les accusations de corruption des Etats-Unis et évoque une tentative d'extorsion de la part du chef de l'Etat guinéen, qualifié d'"excessif" et de "corrompu". L'affaire a braqué les projecteurs sur l'empire bâti par ce fils de l'un des fondateurs de l'industrie diamantaire d'Israël. Après son service militaire, "Beny" s'installe à Anvers, où il excelle grâce à la protection de la De Beers, la compagnie sud-africaine qui contrôlait le marché des gemmes brutes jusqu'au début des années 2000. M. Steinmetz est l'un des clients privilégiés de ce qui était alors un monopole secret et puissant surnommé "le Syndicat". L'Afrique est un paradis pour ces diamantaires sans foi ni loi. Les dirigeants de Namibie, de Sierra Leone ou d'Angola accueillent les bras ouverts ces entrepreneurs israéliens, mais aussi libanais, sud-africains ou russes. Des joueurs qui, motivés par l'appât du gain, arrangent sans cesse les cartes de la combinaison gagnante.
CONTREBANDE ET CORRUPTION ENDÉMIQUESLes gouvernements sont faibles. La contrebande et la corruption, endémiques. Les pierres, parmi les plus belles du globe, concentrent le maximum de valeur dans le minimum de poids. Transmissibles sans formalité, les diamants sont facilement négociables dans les centres de taille d'Anvers, de New York ou de Tel Aviv. Telle est l'antienne, sous couvert d'anonymat, des professionnels du secteur contactés par Le Monde à propos de l'épisode guinéen. Diamants, fer, immobilier, gaz, pétrole, or, médicaments... Les activités de la Beny Steinmetz Group Resources sont éclatées entre une kyrielle de sociétés autonomes. Se présentant comme un "conseiller" ou "un émissaire" du groupe, il n'exerce officiellement aucune fonction de direction. L'intéressé contrôle les filiales par le truchement d'un trust, structure patrimoniale immatriculée dans la place off shore de Guernesey (îles anglo-normandes) dont il est l'un des bénéficiaires. Cette organisation complexe lui a permis de payer un minimum de taxes au plus grand dam du fisc israélien. L'homme d'affaires qui partage son temps entre Israël, la Suisse et le sud de la France aime paraphraser Edith Piaf, "Dans les affaires, il ne faut jamais avoir de regrets."
Le Monde
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