La résidence du président guinéen, Alpha Condé, a été la cible ce mardi 19 juillet au matin de tirs à l'arme lourde et à la roquette. Dans un entretien exclusif à RFI, Alpha Condé explique qu'il a échappé à cette attaque car il n'a pas couché dans sa chambre habituelle. Pour autant, il qualifie les événements de ce mardi de « péripétie », ajoutant que « le peuple de Guinée et l’armée dans sa grande majorité sont pour la démocratie ».
RFI : Monsieur le président, comment allez-vous ?
Alpha Condé : Dans l’ensemble, ça va. Parce que j’ai eu la chance de n’avoir pas dormi dans ma chambre. Car ma chambre a été attaquée au bazooka et la roquette RPG7 ; il y a eu des tirs extrêmement nourris mais la Garde présidentielle s’est très bien défendue pendant plus de deux heures avant l’arrivée de renforts. Et nous avons réussi à mettre la main sur les chefs militaires qui étaient déviants ; mais l’enquête continue.
Malheureusement j’ai eu un mort et un blessé dans ma Garde. Sinon, pour le reste, ça va… Mais si j’avais dormi dans ma chambre, les choses se seraient passées autrement. Comme on avait arrêté des gens dans la journée avec des armes et des tracts – il y a eu beaucoup d’arrestations - par précaution je n’ai pas dormi dans ma chambre. Je n’habite pas au palais présidentiel, et il y a pas mal de critiques là-dessus car on me dit que c’est un quartier qui n’est pas sécurisé et qui est hostile, mais je n’avais pas l’intention d’habiter le palais. Maintenant, la sécurité exige que j’aille m’installer au palais…
RFI : Puisqu’il y a eu des arrestations, sait-on qui est derrière ce coup ?
Alpha Condé : Pour l’instant, je suis dans ma maison. Mais les deux principaux dirigeants ont été arrêtés. L’un a été arrêté très rapidement. L’autre était caché ici, mais il a finalement été reconnu. Il y a eu des échanges de tirs pendant que l’ambassadeur de France était présent, et il a même été contraint de se coucher à terre pour ne pas être atteint par les balles. Mais c’est parce que l’on a découvert certains [assaillants, NDLR] qui étaient camouflés dans le quartier, et qu’il y a eu des échanges de coups de feu ce mardi après-midi. Maintenant je laisse la police, la gendarmerie et la justice mener l’enquête.
Pour ma part, j’appelle le peuple au calme et je demande à tout le monde de reprendre le travail. Et je vais faire un discours pour demander que l’on discute avec tout le monde. Il faut que l’on se mette d’accord sur la révision de la liste électorale pour que l’on ait une élection crédible et démocratique. Mon souci c’est l’unité du pays et la réconciliation ; que l’on ait des élections libres et transparentes pour que le processus démocratique soit irréversible en Guinée. Le reste est l’affaire de la justice.
RFI : Depuis votre arrivée au pouvoir, plusieurs officiers supérieurs ont été mutés. Est-ce qu’il faut chercher de ce côté-là ?
Alpha Condé : Je préfère ne pas faire de commentaire et laisser la justice faire son travail. Ils sont en train d’arrêter des gens. On va voir maintenant où sont les commanditaires. Vous savez qu’il y a eu beaucoup de discours violents… La responsabilité de chacun sera établie, et moi je laisse cela à la justice. Bien sûr, il y avait des officiers qui avaient l’habitude de prendre 200 ou 300 millions par mois [de francs guinéens, soit 20 à 30 000 euros NDLR] ; il y avait un fond bizarre de 10 milliards que j’ai annulé. Evidemment certains ne sont pas contents mais on ne peut plus tuer le pays. J’ai fait aussi l’unicité des caisses, qui fait qu’il n’y a plus de comptes publics dans les banques, tout est centralisé au Trésor. On est donc en train d’assécher progressivement les différentes sources de corruption. C’est normal que les principaux bénéficiaires soient mécontents, mais il n’y a pas qu’eux… L’enquête établira les responsabilités, mais pour moi c’est une péripétie passagère. Le peuple de Guinée et l’armée dans sa grande majorité sont pour la démocratie.
RFI : Est-ce qu’il peut y avoir un lien avec l’arrestation il y a trois semaines de l’ex-numéro 2 du régime de Dadis Camara, le colonel Moussa Keïta ?
Alpha Condé : Je préfère ne pas faire de commentaires. En tant que chef d’Etat, mon rôle n’est pas de m’ingérer dans le fonctionnement de la justice. Et je laisse celle-ci faire son travail.
RFI : Dans votre première prise de parole ce mardi matin, vous avez dit « je ne veux pas de réaction populaire ni de réaction contre qui que ce soit ». Craignez-vous que vos partisans exercent des représailles contre telle ou telle communauté ?
Alpha Condé : Pas mes partisans, mais les communautés… parce que les gens arrêtés appartiennent à une certaine communauté, je ne veux pas que les autres réagissent. Donc j’ai déployé l’armée dans les cinq communes pour empêcher toute réaction populaire et pour que chacun aille à son travail. Moi-même, j’ai maintenu tous mes rendez-vous. Je ne veux pas que le peuple soit mêlé à ça, parce que si le peuple s’en mêle, ce sont les pauvres qui vont payer. Donc nous allons faire en sorte qu’il n’y ait aucune manifestation populaire, ni de soutien, ni rien. C’est une simple péripétie…
RFI : Combien y a-t-il eu de personnes arrêtées ?
Alpha Condé : Je ne sais pas. Je sais que les deux chefs ont été arrêtés, deux des principaux meneurs, et que les arrestations continuent.
RFI : Et ce sont des militaires ou des civils ?
Alpha Condé : Ceux qui tirent sont des militaires. Mais il y a leurs complices civils. Certains de ces complices ont été arrêtés aussi, mais pour le moment ce sont surtout des militaires qui ont été interpelés.
Encore une fois, je ne veux pas qu’il y ait de problèmes entre les communautés en Guinée, tout le monde doit vaquer à ses occupations. Ceux qui seront reconnus coupables des faits seront traduits en justice. C’est l’affaire de la justice et pas de la population.
RFI : Parmi les appels de solidarité et les messages que vous avez reçus depuis ce mardi matin, avez-vous reçu des appels de vos opposants ?
Alpha Condé : J’ai reçu des appels de mes collègues chefs d’Etat, de toutes les communautés religieuses, du Conseil national de transition, etc. Un peu toutes les communautés sont venues, et tous les ambassadeurs accrédités, et puis les amis…
RFI : Et vos opposants vous ont-ils appelés aussi ?
Alpha Condé : Non.
RFI : Quel est l’appel téléphonique qui vous a le plus réchauffé le cœur depuis ce mardi matin ?
Alpha Condé : il y en a eu tellement que c’est difficile. Il y en a eu en Afrique et en dehors de l’Afrique. Pendant que nous parlions, le ministre des Affaires étrangères français m’a appelé [cet entretien a en effet été interrompu quelques minutes le temps de la conversation avec Alain Juppé, NDLR]. Beaucoup de collègues m’ont appelé, et tout le monde a apprécié le calme, la modération de la réaction, et la réconciliation que j’ai prônée. Maintenant il faut que chacun reprenne son travail comme si rien ne s’était passé…
RFI : Vous appelez au calme et à l’unité nationale, mais en ce moment, à l’approche des législatives, le dialogue n’est-il pas tout de même difficile avec l’opposition ?
Alpha Condé : Non. J’ai fait une déclaration hier [lundi] où j’ai annoncé que l’on allait faire la révision de la liste électorale. J’ai appelé le ministre de l’Administration du territoire à rencontrer tous les partis politiques et mouvements sociaux. Il faut que tout le monde s’asseye autour d’une table pour trouver un minimum de consensus pour la révision de la liste électorale. Jeudi, il y aura une réunion de l’ensemble de la société civile, des syndicats et des partis politiques. Le ministre reçoit les partis demain. On va voir maintenant tous les problèmes posés, mais il faut que tous les Guinéens puissent voter.
RFI : Ce qui vous a visé, ce mardi, c’était bien une tentative de coup d’Etat non ?
Alpha Condé : Non, c’était une tentative d’assassinat. Pas un coup d’Etat parce qu’ils n’en ont pas la capacité. Pour faire un coup d’Etat, il faut quand même des forces, et leurs forces sont faibles. Ils ont attaqué ma chambre à coucher ; tous les tirs, les bazookas ont été dirigés sur ma chambre à coucher, ce n’est pas une tentative de coup d’Etat, c’est une tentative d’assassinat. Ce n’est pas avec six pick-ups qu’on peut faire un coup d’Etat !
Surtout que l’armée républicaine a immédiatement occupé la radio et pris le contrôle des points centraux avant de venir renforcer la garde présidentielle. C’était une tentative d’assassinat, c’est tout… Tous les diplomates ont vu l’état de ma chambre. Il est évident que si j’avais été dans ma chambre, je ne vous parlerais pas maintenant.
RFI : Est-ce que cette tentative d’assassinat ne risque pas de vous rendre plus méfiant et de vous refermer sur vous-même ?
Alpha Condé : Pourquoi ? Vous savez, moi j’ai mené la lutte durant 50 ans, ce n’est pas la première fois. Il y a eu trois tentatives d’assassinat contre moi sous le régime de Conté. Moi je crois et Dieu, et le destin d’un homme vient de Dieu, pas d’un autre homme. La réaction de tous les représentants religieux, de tous les autres chefs d’Etat qui m’ont appelé, prouve que tout le monde veut que la Guinée aille de l’avant. Pourquoi voulez-vous que je change ? Moi mon problème est de faire de la Guinée un pays émergent, de renforcer la concorde nationale. Cela ne peut pas modifier mon attitude.
RFI : Mais vous savez que l’on a déjà vu dans l’histoire, y compris en Guinée, de grands démocrates, qui après des tentatives d’assassinat contre leur personne sont devenues très autoritaires ?
Alpha Condé : Moi j’ai mené 50 ans de lutte pour la démocratie, ce n’est pas à mon âge que je vais changer. Propos recueillis par Christophe Boisbouvier